Du lieu au lienUn partenariat La Petite Escalère et Atherbea, en compagnonnage avec l’écrivain Marie Cosnay
Du lieu au lien est soutenu, dans le cadre du contrat de filière Livre en Aquitaine, par la DRAC Nouvelle-Aquitaine site de Bordeaux, le Centre National du Livre et le conseil régional Nouvelle-Aquitaine.
Il bénéficie également du soutien de L’Accompagnatrice, fondation familiale sous l’égide de la Fondation de France, du Chateau Haut-Bailly, Mécène d’Honneur de La Petite Escalère et du Fonds Européen de Développement Régional dans le cadre du projet transfrontalier européen POCTEFA – Limitis Forum.
Entre mars 2017 et mars 2018, le jardin de La Petite Escalère a accueilli tous les mercredis Du lieu au lien : à l’initiative de La Petite Escalère, dans le cadre d’un partenariat avec l’association bayonnaise Atherbea, ce projet était un compagnonnage entre l’auteure Marie Cosnay, les personnes accueillies et les équipes d’Atherbea et du jardin.
Cette expérience entendait donner à de jeunes adultes en insertion sociale et, pour certains, en demande d’asile, le temps, l’espace et les outils pour donner sens à leur histoire, retrouver une respiration et imaginer un avenir à travers les mots et la création artistique dans l’espace de La Petite Escalère.
Elle était aussi l’occasion d’une commande de texte de la part de La Petite Escalère auprès de Marie Cosnay.
Au commencement, il y a un jardin. C’est un jardin bien soigné, en bord de fleuve, un jardin à cheval entre fleuve et tourbière, entre ciel et terre boueuse où s’agitent de minuscules choses animées dont on ne sait si elles sont bêtes ou plantes : de petits monstres qu’on récolte ou recueille, élève, tu n’en as jamais entendu parler, les monstres sont invisibles mais crois-moi sur parole, c’est un jardin arraché au maïs, c’est un jardin d’inondation, un jardin à deux pas de chez moi et que j’ignorais enfant, c’est un jardin que les sculptures ont progressivement habité, habitent toujours, grossissant l’espace, c’est un jardin d’escale qui n’en finit pas de grossir entre marais et grand fleuve jaune qui grossit lui aussi, un jardin grossi sous les pas visiteurs, sous les bottes de pluie, un jardin aux chemins qui finissent sous les eaux, un jardin de déluge, un jardin que des personnages, de grosses dames de toutes les couleurs et des mosaïques habitent, des oiseaux, des orateurs, des arcs et des mobiles, un grand Adam, un bourgeois de Calais, des champignons pourris, de vieilles salades, des lumières, des lumières gigantesques, c’est un lieu entre la terre, l’eau du fleuve et les plages du ciel, un lieu de silence et de rumeur, de bruit du monde, un lieu ouvert-fermé!
Les belles dames qui vivent au jardin ont proposé qu’on vienne ici parler, photographier, se promener, rencontrer les bestioles, toucher les écorces, écrire ou se reposer. On s’y est retrouvés, moi qui suis née à côté, vous tou.te.s, d’ici, de passage, une fois par semaine pendant un an. Des jeunes gens et jeunes femmes, qu’une même association protégeait, en attente d’un toit ou d’un droit. Ici on a eu des moments de joie, des absences, des excitations, la tête qui tourne, on a bu du café, on a mangé, on a eu froid, on a lu des poèmes, on a dessiné, écrit, modelé, fait du théâtre, on a eu des moments, on a eu des moments de tout, on a eu des moments de vie qui passe. Ici on est venus chaque mercredi depuis le début du mois de mars 2017 jusqu’au début du mois de mars 2018!
Au commencement, c’est la possibilité, en ce drôle de lieu, avec belles dames et petites bêtes, en ce drôle de lieu, ce lieu d’essences variées – où on s’attend à trouver Orphée qui chante pour les petits êtres planqués sous des apparences d’arbres ou de bronzes ce qui va et ne va pas dans l’histoire des hommes, ce qui ne va pas et nous intéresse le plus et qui s’est, au commencement d’ailleurs, passé dans un jardin : une histoire d’amour, fût-elle tordue. Ce qui s’est passé ici, donc, c’est la possibilité de se rencontrer, de se lier!
Se lier. De cette sorte d’amour pas tordu du tout qu’on appelle l’amitié. Alors que pas grand-chose ne nous était commun dans l’expérience. Ni dans les attentes qu’on avait. Ni ce qu’on voulait les uns des autres ni ce qu’on voulait ici, au jardin. Pourtant nous nous sommes liés. Se lier nous engage. Nous étions donc engagés, engagés dans l’amitié, que les ami.e.s s’installent ou simplement passent par là, l’amour nous imposait une double et douce contrainte : les aider à rester ou les aider à s’en aller, à poursuivre leur route, route de héros, de chevaliers à valeurs et vaillances. Être liés, pleins d’émotions, les un.e.s les autres, libres pourtant, vivre les liens comme ce qui fait le monde plus petit et meilleur, petit monde pour les géants de partout que nous sommes, petit monde relié par des ficelles tendres comme les fils perlés de rosée de l’araignée du jardin!
Ce qui se passait ailleurs venait une fois par semaine se poser au jardin, entre les eaux et les ciels. Ce qui se passait ailleurs, hors du jardin, rencontrait ce qui se passait au jardin, ou plutôt ce qui se passait hors du jardin regardait de près celles et ceux que je rencontrais au jardin!
Nos corps pirogues, Marie Cosnay, incipit.