Jorge Santos, Parmi les bosquets d'ombre (détail), 2013.

Jorge Santos
Artiste plasticien

Résidences - Automne 2012

L’artiste plasticien Jorge Santos a été sélectionné pour la résidence d’automne 2012 par un comité de sélection comprenant notamment Marie-Laure Bernadac, Musée du Louvre et Laurent Boudier, critique d’art. Il a passé le mois d’octobre 2012 à LPE.

Jorge Santos (Silves, Portugal, 1974) vit et travaille à Lisbonne.

Backlight Dahlias, 
Dans le jardin où l’automne s’attarde
Tirage jet d’encre, 60 x 40 cm, 2012

Jorge Santos, Backlight Dahlias -- Dans le jardin où l'automne s'attarde, tirages jet d'encre, 60 x 40 cm, 2012.

À propos de cette série et de sa résidence à LPE

En arrivant à « La Petite Escalère », je suis entré directement par le jardin. J’y ai découvert un lieu d’isolement peuplé d’œuvres pour la plupart d’art moderne mais également d’art contemporain, ainsi que de nombreuses références visuelles qui m’ont renvoyé aux univers de différents artistes tels que Magritte, Lygia Pape, David Hockney, Brancusi, Ian Hamilton Finley, Jorge Oteiza et Paul Morrison. De l’idée même d’habiter dans le jardin sont nées des œuvres nouvelles que je me proposais de réaliser in situ, en harmonie avec le lieu, en prenant comme point de départ le rapport de l’architecture avec la nature vu à travers les liens entre l’architecture, le paysage et les arts décoratifs.

Arc-en-ciel, Parmi les bosquets d’ombre, trois séries de dessins, un livre et finalement l’œuvre que je présente dans cette publication sous la forme narrative d’une frise, Backlight Dahlias.

Il y a un espace dans le jardin où fleurissent des dahlias utilisés dans les compositions florales de la grande maison. À l’automne, cette parcelle est remplie de ces fleurs qu’on appelle communément la « reine de l’automne ». J’ai emmené l’une de ces compositions dans mon atelier, elle y est restée pour servir d’objet d’étude. J’ai réfléchi à la façon dont les dahlias et certaines fleurs champêtres avaient été disposés dans cette composition qui se trouvait désormais sur ma table de travail et formait ce qu’on appelle une nature morte, thème récurrent de la peinture et de la photographie. J’ai également réfléchi à la manière dont un ordre naturel nouveau, installé dans l’espace architectural de la maison, pouvait devenir une sorte d’ornement qui arrive à représenter l’espace naturel. De la même façon, le jardin n’est autre que l’espace naturel matérialisé en une création architecturale de l’homme.

Plus tard, alors que le bouquet de fleurs était sur le point de se faner, j’ai décidé de le disséquer. J’ai placé les fleurs sur le fond en acrylique blanc mat d’une boîte à lumière. L’effet m’a plu. Le blanc laiteux de l’acrylique contrastait avec le corps végétal qui, à contre-jour, libérait sa silhouette, laissant à première vue certaines zones dans l’obscurité tout en révélant des détails moins visibles à l’œil nu.
Cette représentation à la fois nette et floue, dans la clarté et la pénombre, alliée au fond lumineux et mat, m’a renvoyé à une vision orientale de la lumière et de l’espace, comme la représentation des ombres dans les maisons des films de Mizogushi dont je me suis inspiré pour le titre de cette publication.
Selon L’éloge de l’ombre de Junishiro Tanizaki, un essai dédié à l’esthétique japonaise, la pénombre dévoile et retient la beauté. Dans cet essai datant de 1933, l’auteur analyse l’utilisation de la lumière et de l’obscurité et son rapport à l’espace dans les cultures orientales, dans lesquelles la lumière est contenue, indirecte, et dépose un voile de mystère, dans une évidente appréciation de la subtilité des ombres et du passage du temps.
En outre, l’auteur nous parle aussi de la qualité de l’ « usure » des objets, cette qualité que les objets acquièrent après avoir été longuement utilisés.
C’est ainsi que surgissent les Backlight Dahlias, nés de la dissection d’un bouquet de fleurs et présentés dans un registre qui oscille entre le scientifique et l’esthétique. Sous la forme d’un herbier de dahlias de la même espèce qui ressemblent parfois à des matrices d’ornements floraux, révélant et obscurcissant la beauté pérenne des fleurs cueillies dans le jardin. Elles reviennent ainsi à la maison, à travers la photographie, afin d’y être vues de nouveau en son sein.

Jorge Santos, janvier 2013
Traduit du portugais par Gil Costa pour Davron Translations Sarl. Correction Florence Debornes